Hashtag

« Il est vingt heures, et quelques bonnes minutes sans doute, depuis le temps qu’elle laisse aller. Ses doigts tapotent machinalement l’écran de la tablette ; curieux comme ce tripotage fébrile est devenu un réflexe pavlovien, autant que son regard accro aux #PP, #fotd, #TT et autres hashtags, poubelles à selfies, informations aux sources incertaines reprises en boucle, atrophiées de sens. Rien que le mot – hashtag – l’horripile, avec sa consonance barbare et son symbole en fil de fer barbelé, emprisonnant lettres, mots et vocables, les empêchant de s’accorder, se déployer, s’épanouir, d’argumenter librement, emprisonnant l’esprit des humains. L’excuse de la liberté de communication, du journalisme citoyen a bon dos, prétexte démagogique en diable ! Comme si une communication de deux lignes pouvait être de l’information. Certains parlent d’excellent exercice de synthèse pour les élèves ; ce serait plutôt un exercice de rétrécissement de la pensée, oui ! Malgré tout cela, elle est une twitto aux multiples followers, comme tous ses amis, tout en se jurant chaque jour de balancer son compte, surtout depuis qu’elle avait découvert ces soi-disant romans publiés par tweets successifs ! Essayez de lire Faulkner, Hemingway ou encore Tolstoï par tranches de 140 signes et vous serez confronté à une tache des plus fastidieuses, sinon impossible, chronophage de surcroît ; d’accord, plus grand monde ne lit Faulkner, Hemingway ou Tolstoï, essayez alors avec un bestseller de Musso. Intrigue, suspense, romantisme découpés à l’hashtag… Waouh ! Cependant, dans les moments d’extrême lassitude, elle était captive de ce genre de brèves ; elle se souvenait d’une « Vie de Joe » en particulier qui l’avait fait sourire :
Sortant du ventre maternel, Jo tomba sur le sol, plongea dans le coma, en sortit à 94 ans et, le lendemain, mourut de vieillesse.
Concis et précis !

@writer, t’es écrivain et tu tweet  #poètereau
Tu tweet  #auteur
Laisse aller sur Twitter #plume
@artiste, tu tweet #dessindujour
Vacuité, vas cuiter ton sirop de geek
Laisse aller cœur barré #nausées
Laisse aller #ailleurs
Assez gazouiller #à tort et à travers
Hop #décision
#paramètres #compte #désactiver
Bluebird #dead
#configure #account #activate
Bluebird #revive

Il faut reconnaître que, bien utilisé, l’oiseau bleu permettait à son travail, à ses dessins, comme à ceux de ses amis, de prendre leur envol en reconnaissance vers de multiples cieux ! Ainsi va la communication de ce siècle, à travers ondes et relais, bravant les flèches d’armées de hashtags en furie. » …/…

Dessin et texte ©IdR – Extrait de « Un tabou voyageur » – 2020.