Il y a 3 ans, j’avais écrit ce scénario dans le cadre d’un concours de Pôle Image 41. Il avait franchi le cap de la première sélection, ce qui est déjà un exploit, car un tournage en pleine forêt de nuit est compliqué. Mais je ne désespère pas de pourvoir produire un jour ce petit court-métrage. J’y ai apporté quelques modifications ; le jeune Malo s’est transformé en jeune fille, Malou.
3 Personnages : Maman : 38 ans environ, grande brune aux yeux noirs. Malou : 14 ans, vive, châtain aux yeux clairs. Toutes deux habillées de jeans étroits, pulls noirs et baskets. La Dame blanche : jeune, cheveux blonds sur les épaules, longue robe blanche. – 3 lieux : intérieur, forêt (zone de vieillissement à Marolles), lavoir de Bury – 3 séquences.
Séquence 1 – Intérieur.
Malou et Maman, de dos, regardant par une porte-fenêtre le reflet d’un coucher de soleil sur l’immeuble d’en face. Pénombre. Une pièce, envahie de verdure potagère et d’un immense écran diffusant un discours politique agressif (ex. : gros plan visage de Trump vitupérant). Le son est coupé.
– « Maman, raconte-moi la Nuit noire.
– J’attendais que tu me le demandes.
– Pourquoi attendre un an pour en parler ?
– Pour que, par la rareté du récit, tu en comprennes l’importance, et puis, cela nous donne le courage de vivre ; ces douze mois ne sont plus qu’une longue journée sans fin. J’ai besoin de la lumière du soleil, de cette heure bleue pour te conter cela… pour la dernière fois…
– La dernière fois ?
– Une intuition, mais sois sans crainte, et d’abord, prends ceci. »
Elle se tourne vers lui et sort, d’une longue boite, une fine branche fourchue.
– Voici la baguette de sourcier de ton grand-père. En noisetier… Il la tenait de son père. Lorsqu’ils vivaient encore à la campagne, elle leur permettait de découvrir les sources et d’aider les paysans à forer au bon endroit. Prends la, comme cela, doucement ! » Elle met délicatement la fourche dans les mains de Malou. La pointe dirige l’adolescente vers la porte d’entrée.
– « Je le savais, c’est le signe… Nous devons y aller !
– Où cela ?
– Dans notre ancien village, près de la source.
– Tu es folle, nous n’y survivrons pas. Plus personne ne vit là-bas, c’est bien trop dangereux.
– Fais-moi confiance. Vite ! N’emmène rien surtout, j’ai tout ce qu’il faut. Je te conterais l’histoire en chemin. »
Elle prend leurs blousons, noirs aussi, un petit sac à dos, et elles sortent de l’appartement.
Séquence 2 – Forêt en clair-obscur.
Sous-bois, touffu, à la lueur d’une torche que Maman sort du sac. Malou marche devant, tenant la baguette de sourcier droite devant elle.
– « As-tu encore peur ? demande Maman.
– Avec toi, jamais ! Je pensais qu’il y avait des murs autour de la ville, qu’on ne nous laisserait pas sortir.
– Ce n’est pas nécessaire, la peur est le meilleur des remparts. Les gens ne s’aventurent plus au-delà de leurs rues, et encore. Lorsque les campagnes furent abandonnées de tous, des rumeurs terribles de famine, de bêtes féroces et d’émanations mortelles se mirent à circuler.
– Raconte-moi les étoiles.
– Tiens la baguette avec légèreté, c’est elle qui nous guide. Lorsque j’étais toute petite, nous vivions encore au village, nous avions un grand jardin, un potager où faire pousser les légumes, un verger pour les fruits. Souvent, la nuit, nous nous allongions dans l’herbe pour regarder les étoiles. La nuit noire, sans aucune pollution lumineuse. Malheureusement, il n’y avait déjà plus de médecins, ni aucun commerçant. Le bouleversement climatique mettait à mal nos maigres récoltes, y compris celles des producteurs locaux qui dépérirent rapidement, et nous étions obligés de nous alimenter en ville. Puis les énergies, y compris le bois, sont devenues tellement chères, plus chères que des truffes noires dirent certains, que nous avons dû tout abandonner, et tous les habitants sans exception partirent en ville.
– Comment cela… plus cher qu’une truffe noire… que le museau d’un chien ? »
Gros plan sur l’éclat de rire de Maman.
– « Non une truffe, c’était un champignon savoureux et rare, un cadeau des Dieux, aujourd’hui disparu. Le plus cher des mets… Arrêtons-nous un instant. »
Silence. Plan sur la forêt. Jeux d’ombre et de lumière. Ils s’assoient sur des troncs couchés.
– « Nous vivions donc en ville, dans l’appartement où nous sommes encore aujourd’hui. C’est ton grand-père qui a élaboré ce potager intérieur, avec les graines qu’il avait emmenées en secret. Cela l’aidait à survivre et il ne pouvait se résoudre à ne manger que des aliments de synthèse. C’est grâce à lui, si tu connais le goût des fraises.
– Dont je ne dois parler à personne, je sais…
– Une nuit d’été, nous étions tous assis sur le balcon pour regarder les étoiles filantes. Avec le couvre-feu à partir de 20 h, la nuit noire et la voie lactée étaient réapparues dans le ciel des villes ; nous savions savions les reconnaître parmi les milliers de satellites envoyés pas Lord K. Nos pensées étaient perdues dans les étoiles, mêlant passé et avenir. Soudain, quelques étoiles se mirent à filer vers l’horizon. Il fallait vite faire un vœu. Le nôtre était toujours le même : retrouver notre hameau perdu, notre jardin et notre rivière.
– Pourquoi ?
– Les arbres, l’odeur des fleurs, le chant des oiseaux, le glouglou de l’eau, l’herbe dans laquelle nous courrions, en somme la liberté que nous avions perdue.
– C’est quoi la liberté ?
– Ferme les yeux un instant, l’odeur du sous-bois… respire avec ton ventre comme je te l’ai appris, ressens, écoute… c’est cela la liberté. »
Gros plan sur le visage de Malou, immobile, yeux fermés, respirant à fond. Elle murmure :
– « J’aime la liberté.
– Continuons maintenant. Ce soir-là, nous avons perdu bien plus que la liberté. Les étoiles ont continué à filer, nous étions en joie… jusqu’à ce que Mizar, Alioth, Alkaïd, toutes les étoiles de la Grande Ourse, puis Cassiopée sombrent à leur tour derrière l’horizon. En l’espace de quelques minutes, en un spectaculaire final, il ne resta pas une étoile dans le ciel, puis la lune à son tour disparut. Le clignotement des satellites s’éteignit d’un coup. Une véritable nuit, profondément noire s’installa. Le lendemain, notre ciel s’était transformé en un épais brouillard cachant également le soleil. Le froid tel que tu le connais, s’installa. Les réverbères furent de nouveau allumés, décorés de lucioles en un simulacre de ciel étoilé. Les gens, les hommes surtout, devinrent fous, s’entretuèrent ou moururent brutalement de dépression, comme ton grand-père et ton père. L’oppression fut terrible, et depuis nous survivons comme nous pouvons. Mais le jour de ta naissance, le soleil réapparut pour la journée, et ainsi à chacun de tes anniversaires. Une brève lueur d’espoir dans une vie captive de l’obscurité. »
Un bruit de branches, de feuilles mortes foulées, de course. Malou sursaute.
– « Qu’est-ce que c’était ?
– Un chevreuil, un renard ou un sanglier peut-être, il y en avait beaucoup. Espérons que certains aient pu s’adapter.
– J’ai cru voir une ombre, comme une femme, toute blanche.
– Un effet de ton imagination… Allons, nous avons encore une bonne heure de marche. »
Plan de dos : Elles continuent en silence, à travers la forêt sombre, guidées par la baguette, la main de Maman sur l’épaule de Malou.
À nouveau un bruit de branches, là-haut, au sommet des arbres. Puis un hululement répétitif. Gros plan sur leurs visages levés.
– « Une chouette, je pensais qu’il n’en existait plus. » s’exclame Maman.
– Une chouette, c’est quoi ?
– Un oiseau de nuit. Ne t’inquiète pas, elle est là pour nous guider.
– Maman, regarde ! »
Au sommet des arbres, une longue trainée laiteuse se déplace entre les arbres, courant devant eux.
– « La voilà, ta Dame blanche, juste un peu de brouillard. Allons, continuons. »
Séquence 3 – Lavoir. Entre nuit et jour.
Elles sont au bord d’un lavoir abandonné. Un énorme tas de détritus, de petites machines rouillées, surtout de plastiques en tout genre, au milieu de l’eau. De nombreux déchets surgissent brièvement sous la lumière de la torche qui balaye les berges. Maman pleure silencieusement. Malou pose la baguette de sourcier sur le muret, et prend sa mère dans ses bras.
– « Qui a pu faire cela ?
– Ne pleure pas, Maman ; nous ne sommes pas venus pour rien. Nous allons tout nettoyer, l’eau en premier. » Elle enlève ses baskets, remonte son jean et entre dans l’eau.
– « C’est étrange, tout ce tas est posé sur une bâche comme si l’on avait voulu boucher la source ! Je dois pouvoir la replier. Je vais pouvoir enlever ce tas d’ordures.
– Dans mon sac à dos, tu trouveras une corde. »
Malou dégage le surplus de bâche moisie, mais encore solide, le ramène sur le dessus, en nouent les angles et tire doucement d’abord, puis fermement, avec de grands efforts, pour finir par remonter l’énorme paquet sur le sol du lavoir. Bruit d’éclaboussures.
– « Maman ! Regarde ! »
Là au milieu de l’eau, sur un fond de petits cailloux et d’herbes ondoyantes soudain libérées, un croissant de lune brille.
– « Merci, jeune fille, d’avoir sauvé mon escarboucle ! »
Malou sursaute, Maman reste immobile, muette, les yeux fermés.
Sur le parapet au-dessus de la source, une jeune fille blonde, vêtue de blanc, est assise, lui souriant.
– « Qui êtes-vous ? » demande Malou.
– « Certains me nomment la Vouivre, d’autres Damona, la déesse des sources, ou encore, la Dame blanche. J’ai bien des noms et des vies, comme mes sœurs, que vous, les humains, avaient tant maltraitées.
– Comment cela ?
– En nous polluant, en déversant vos poisons et vos déchets dans nos royaumes, en tuant le vivant. Vous étiez déjà tous partis, comme des couards, incapables de survivre seuls, mais vos dirigeants continuaient à se débarrasser de vos ordures dans la nature, sur nos terres ; c’était pratique, vous n’étiez plus là pour le constater et ce n’était pas grave, puisque bientôt, ils découvriraient une nouvelle planète où vivre. Enfin, le croyaient-ils. Lorsqu’un voyou vint déverser ces horreurs dans cette eau, et m’ôter ainsi le reflet de la Lune, ce reflet qu’elle m’avait offert, ce fut le crime de trop.
– Qu’avez-vous fait ?
– Tu le sais, ta mère te l’a conté. Les étoiles, la lune et le soleil se sont cachés aux yeux des hommes, vous plongeant dans les ténèbres, la Nuit noire. Vous avez été contraints de cesser vos recherches spatiales. Vous avez survécu, sans rien comprendre. Les milliards économisés, vous ne les avez pas utilisés pour sauver notre planète, non, mais pour enrichir vos despotes et leurs hordes de gardes armés.
– Et maintenant ?
– Tu as retrouvé mon escarboucle, ce reflet de Lune. Nous ne t’attendions pas avant mille ans ! »
Gros plan sur Maman qui ouvre soudainement les yeux et fixe la Dame blanche.
– « Sans les étoiles, le Soleil et la Lune, dont vous avez privé bien des innocents sur cette Terre, une année semble maintenant un siècle.
– Alors, le compte y est largement. Vous devez retourner vers la ville, toi et ta mère, et transmettre ce message : à chaque action bénéfique, en faveur de la Terre, de la Nature, une étoile vous sera rendue.
– Ils ne nous croiront pas, ils nous massacreront.
– Ils vous croiront, car le soleil sera toujours là où va ta fille. N’oublie pas que nous l’avons nommé Malou ; dorénavant, elle est l’otage de sa mission et la lumière de l’humanité.
– C’était toi ? » murmure Maman.
– Oui, cette petite voix qui te suit, te guide, depuis sa conception, c’est moi, la Dame blanche. J’ai veillé et je continuerai à veiller sur vous. Et pour gage de ma sincérité, quand vous arriverez ce soir en ville, la lune se lèvera à nouveau dans le ciel. Allez maintenant… et revenez nombreux à la Terre ! »
Elles repartent, le jour se lève, ensoleillé. Bruit de la source libérée. (Plan de dos).
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