Une petite bille ronde…

Il était une fois une petite bille ronde et un peu cabossée perdue dans un vaste univers, lui-même perdu dans un vaste néant. Cette bille n’est pas le centre de l’histoire, certes, mais il est un fait que la rotation à laquelle elle est assujettie induit chez les êtres qui la peuplent cette croyance qu’ils sont, eux, le centre de l’Histoire. Tournebouler sur soi-même ne réussit pas à tout le monde !

Donc il était une fois une petite bille ronde à force d’avoir roulé sa bosse, toujours dans le même sens ; depuis quelques temps, son derme était irrité par les piqûres incessantes de ces parasites picolant sans ménagement, ni précaution aucune, sa précieuse énergie, provoquant un échauffement intolérable. Elle aurait bien voulu se gratter, les arracher d’un coup de griffe, mais elle n’avait ni bras, ni main, ni doigts et encore moins d’ongles. Elle n’avait d’autre solution que d’éternuer un bon coup de temps à autre, provoquant des tremblements nerveux qui la débarrassaient momentanément de quelques milliers d’acariens. C’était mieux que rien. Se faisant, elle continuait sa rotation, gravitant autour d’un gros calot incandescent, sans se poser plus de questions… À quoi bon ? À part ces démangeaisons, sa situation était des plus confortables : sécurité absolue, vue imprenable sur l’univers, lumière, chaleur ; elle était installée sur un rail infaillible, il lui fallait simplement tourner sur elle-même pour stabiliser sa température et entretenir ses ressources inépuisables ; aidée par la force centrifuge, l’effort, répétitif certes, était minime. Alors que tant d’autres de ses congénères, ayant revendiqué leur liberté, entamaient en électron libre une trajectoire, éblouissante certes, pour finir fracassés dans un chaos épouvantable ou pire en mèche mouillée. À peine aperçus, déjà oubliés. C’était ainsi depuis des lustres… À quoi bon se poser des questions, en effet ?

— « Quoi ! Mais qu’est-ce qu’elle écrit ? À quoi bon ! À quoi bon ! Eh bien si, je m’en pose des questions… demandez à la Lune !

— Qui parle ?

— La Terre, petite. Tu crois peut-être que je ne sais pas ce que vous fabriquez. La Lune, ma sœur, me tient au courant dès que mes bleus virent au jaune, dès que mon air s’assombrit, dès que…

— Ce n’est pas possible ! C’est encore Pierre qui me fait une blague.

— Laisse le Pierrot tranquille. Il n’a plus de plume. Il y a trop longtemps que toi et les tiens ne savent plus m’écouter.

— Pierre, arrête ! Laisse-moi écrire.

— Une vraie tête de caboche ! Écoute-moi…

— Pff, l’humour de base…. Espèce de boloss. Laisse-moi tranquille, l’ingénieur son ! Arrête ça tout de suite, va t’amuser ailleurs. Mais où en étais-je ? »

 À peine aperçus, déjà oubliés. C’était ainsi depuis des lustres… À quoi bon se poser des questions, en effet ?

— « Allo La Lune, ici la Terre ! Que vois-tu ? Cela me démange comme jamais. Je crois que ce sont toutes ces mouches de métal qui me tournent autour, cela m’agace. Mais d’où viennent-elles ? Je t’envoie un nuage, réfléchis bien. La petite sur laquelle tu m’as branchée, elle ne veut pas m’écouter. Tu as entendu. Elle me traite de boloss en plus. Ah les sales gosses, je les ai trop gâtés, je leur ai trop donné : à boire et à manger à volonté, de l’énergie pour tous ; j’ai réglé ma course pour qu’ils aient des saisons et qu’ils puissent gérer tout cela facilement et, j’en ai fait des vampires ! Vingt millions d’années de labeur pour leur léguer un paradis, deux siècles pour le dilapider. Et ils ne pensent qu’à se plaindre, à s’entre-tuer ou à se goinfrer. Ils ont perdu l’instinct et la foi en ma nature.  Il faut que je réagisse, qu’ils réapprennent qui est leur mère. »

Trois cumulus et décryptage de Lune plus tard.

— « Tu me dis qu’ils font la fête. Partout ?

— Pas exactement partout. Surtout dans leurs grandes termitières lumineuses.

— Quelle fête ?

— Je ne sais pas. Ce sont les ondes avec lesquelles ils communiquent qui te démangent. Elles passent par toutes ces mouches volantes dans ton atmosphère. Remarque, on pourrait te prendre pour leur Christ avec ta couronne d’épines.

— Cela me démange de plus en plus, c’est terrible ! Mais encore que font-ils ?

— Ils s’embrassent, font des vœux et boivent !

— Et la petite, pourquoi elle ne fait pas la fête ?

— Elle s’est disputée avec son compagnon. J’ai écouté et je crois que c’est à cause de toi. Elle trouve que l’humanité te manque de respect. Il faut que tu l’aides pour le livre qu’elle commence. Lis… »

  Donc il était une fois une petite bille, ronde à force d’avoir roulé sa bosse, toujours dans le même sens…

—   » Je veux bien, mais elle ne m’écoute pas. Une vraie tête de caboche qui me traite de bille, tu parles d’un respect. Tu m’as pourtant bien branchée sur elle. Ah ! Cela me démange trop ! Je ne respire plus…

— Attention ! Ton bleu vire au vilain vert… À quand remonte ton dernier retournement ?

—  Je ne sais plus, c’est si loin, je ne me souviens que de l’immense froid qui m’avait saisi, glacial, redoutable, et, du silence.

—  Ce serait peut-être la solution pour te débarrasser de tes poux.

— Peut-être… non…  je ne crois pas que ce soit déjà le moment. Mais avec leurs bêtises, ils ont peut-être déréglé mon horloge. AAH ! Je n’en peux plus, je n’en peux plus, débranche vite la petite, attention… Aahhh… Aahhhhhh..

— Retiens-toi. Quelques secondes… J’y suis presque.

— Aahhh… Aahhh… AtchouMMMMMMMMMMMMMMMMM ! »

Flash spécial d’information !

Nous apprenons à l’instant qu’un terrible séisme d’une magnitude de 8,5 sur l’échelle de Richter s’est produit dans le petit village de A… à minuit ce premier janvier 2022. L’onde de choc s’est ressentie jusqu’à Paris. Le village a été entièrement détruit, les victimes sont nombreuses et nous sommes actuellement sans nouvelles de notre députée écologiste, Mlle Caboche, qui passait les fêtes dans son chalet. Nous ne savons pas ce qui a pu produire une telle catastrophe, dans cette région où le risque sismique semblait limité. Nous attendons également des nouvelles de la Centrale nucléaire qui se trouve à 60 km de là et dont le réacteur s’est brutalement arrêté.

Passons maintenant à l’actualité du jour :

Bonne année à tous !

Tous les vœux de Radio Spatiale vous accompagnent !

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Texte/dessin ©IdR
Publié en 2012 sur Welovewords.