Ceci n’est pas une page blanche. C’est un lynx ! Un lynx, avide de phrases et chicaneur, jouant avec mon crayon, le mordillant, le torturant jusqu’à lui faire rendre l’âme. Et pas n’importe quelle âme, celle des mots et des lettres lesquels, justement, vous collent à l’âme.
Ceci n’est pas une page blanche. Regardez la lumière de son grain, malgré les mille salissures de mes pattes de mouche, mes gribouillis et petits croquis. Elle m’aveugle et parfois m’effraie, souvent m’intimide et me rend maladroite. Toujours elle me guide, en souplesse, de même que Lyncée les argonautes. Et toujours je reviens à elle, ma page lynx, ma sauvage.
Ceci n’est pas une page blanche. J’ai beau la griffer, la raturer, la gaver de noirs dessins, de sombres maux, et parfois même la déchirer ou la brûler, elle revient toujours, éclairer de son regard vif mes insomnies et se jouer de moi, en belle féline. Elle provoque mes désordres pour mieux les ordonner, se dérobe sous la mine noire pour mieux se donner toute entière à la caresse de mes billets. Vorace, elle aime la chair des mots, le sang de l’encre et le craquant des phrases. Elle les dévore, les digère puis les régurgite sous la forme d’un jeune oisillon, dont il me faudra attendre l’envol.
Ceci n’est pas une page blanche, elle est si vivante. Allez mon lynx, rends moi mon crayon, moi aussi j’ai faim et soif d’écrire en cette nouvelle année.
Texte et dessin ©IdR 2020 – 19h37.