Pour certains je suis si ordinaire, transparente, que l’on me néglige, en féminin singulier : eau.
Question de genre sans doute, car ils me veulent mieux que potable : pure, distillée, habillée d’oripeaux translucides, consommable, silencieuse, éternellement disponible.
Pour d’autres, je suis si rare, qu’ils me sacralisent en masculin singulier : or bleu. Or, je suis de sienne brûlée, roulant des vanités de sang et de soleil mêlés dans le secret d’indicibles entrailles. Paix pit pit pit… Paix pit pit pit… crie l’oiseau assoiffé au-dessus du lit dévoré, aux entrailles violées, au flot empoisonné…
Et tous me voudraient canalisée, en O’dalisque captive de hautes tours, dans ces châteaux dits d’eau.
Certes singulière je suis, car avant tout plurielle, de cette pluralité qui file entre vos doigts, se faufile dans vos veines, s’évade par les airs, s’éclate en notes de pluie,
s’échappe en abîmes et abysses, insaisissable toujours, éternel hologramme.Et pour tous vous mettre d’accord, je suis transgenre, car tous m’appartiennent :
Le genre paisible, dormant enchanteur, régénérant lénifiant, le genre nourricier, fertile à profusion, le genre quantique des sciences, morphogénique et biodynamique, le genre « gueule d’atmosphère », agitée du bocal, complexe à souhait, sans oublier le genre divin, chamanique, mystérieux, spectral…
Le genre discret, vaporeux volatile évaporé, le genre charnel enveloppant, caressant, l’inter-facial, le genre belle évanescente, envoûtante exaltée, cyclique excentrique, le genre « divinité ombrageuse » !
Le genre gazeux réjouissant, le gazouillant mélodieux, le genre caméléon facétieux, le minéral vêtu de guède, l’organique haut en couleur d’ocres et malachites, et bien sûr le genre liquide, fluide ruisselant, envahissant diluvien, ludique, pétillant, fracassant.
L’insondable, le fondamental, le solide, le glacial, c’est mon genre…
Le sauvage, amical à la vie à la mort, et lorsque l’on me chatouille trop les molécules, l’exterminateur, encore mon genre.Je vous laisse le genre mercantile, je ne saurais qu’en faire…
Rosée du matin, brume de rose, je dépose mon âme sur des cils enfantins et je préfère murmurer à l’oreille des artistes, de ceux qui m’écoutent :
« Je suis l’esprit de l’eau, médium de vie ».
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©IdR.
Extrait de « Murmures de l’eau ». Éditions Artecisse. 2017.
N° ISBN : 978-2-9562159-O-5